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Depuis le 10 octobre dernier, le budget de l’année 2025 fait débat. Et pour cause : le gouvernement veut renflouer les caisses. Mais certains élus estiment que les Français sont déjà à bout de souffle financièrement. De ce fait, ils n’hésitent pas à déposer des amendements pour modifier le texte. Mais déjà, les parlementaires doivent penser à l’après. Car le Rassemblement national compte bien frapper fort, en déposant un projet de loi pour l’abrogation de la réforme des retraites ! Et ce, dès le 31 octobre prochain.
Cela dit, avant que vous sautiez au plafond, il faut préciser deux ou trois choses. Lorsqu’un député soumet un texte, il faut encore convaincre la majorité. Soit, a minima, 289 élus sur les 577 qui siègent au palais Bourbon. Or, malgré ses 125 députés (dont 3 extérieurs au parti), le Rassemblement national a bien des ennemis dans l’hémicycle. Néanmoins, la gauche pourrait bien décider de se montrer pragmatique, en votant l’abrogation de la réforme avec le RN… On fait le point !
Abrogation de la réforme des retraites : les intellectuels de gauche s’engouffrent dans la brèche
Mercredi dernier, dans le Media, un collectif de personnalités a signé une tribune appelant les députés NFP à voter le texte soumis par le RN. L’objectif ? Mettre de côté, sur coup, les désaccords avec l’extrême-droite, dans l’intérêt des citoyens. En effet, les électeurs de LFI comme ceux du RN souhaitent une abrogation de la réforme. Qu’on soit de gauche ou de droite, travailler après 62 ans est aussi difficile. Avec ce vote, la gauche pourrait faire un pied de nez au RN comme à la majorité présidentielle.
« Toute la gauche de rupture aurait tort de ne pas se saisir de cette proposition, quand bien même elle émane du diable. Non seulement cette gauche doit respecter son électorat et son programme, au sein duquel l’abolition de la réforme des retraites figure en bonne place, mais elle doit aussi s’attacher à élargir sa base, notamment dans les « bourgs » et la « ruralité », captés ou tentés par le RN grâce à ce genre de tactique. Enfin, la gauche de rupture ne peut pas laisser le monopole de la lutte contre le néolibéralisme et la Macronie au RN. »
Parmi les signataires de la tribune, on retrouve des figures incontournables. Pour l’économiste Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS. Ou encore Annie Ernaux, qui a reçu le prix Nobel de littérature en 2022. Mais aussi Bernard Friot, économiste et professeur émérite à l’Université Paris-Nanterre. Des intellectuels qui se prononçaient déjà en faveur de l’abrogation lors des récentes campagnes électorales. Et que l’on retrouvait déjà dans les cortèges, lors des mobilisations survenues en 2023.
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Cap ou pas cap ?
Peu après la parution de cette tribune, Aymeric Caron (LFI) l’a relayée sur X. Le député de la 18ᵉ circonscription de Paris paraissait alors plutôt enthousiaste.
« Voter ou ne pas voter l’abrogation de la réforme des retraites proposée par le RN dans sa niche? Nous en discuterons avec les habitantes et les habitants ce soir en réunion publique. En attendant le point de vue exprimé dans cette tribune me semble le bon. », a tweeté l’ancien journaliste mercredi dernier.
Et le soir-même, l’élu a discuté le vote de l’abrogation proposée par le RN avec les habitants de sa circonscription.
« Si le RN ne votait pas notre abrogation, on serait les premiers à dire qu’ils ne défendent pas les travailleurs. (…) Et si on ne vote pas la leur, ils s’en serviront pour se faire passer pour le parti de défense des travailleurs… J’ai un vieux principe, ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. », révèle le député (propos rapporté par Libération).
Une position qui tranche nettement avec celles des élus PS, qui clamaient encore, il y a quelques jours, leur refus de voter avec le RN.
« Nous ne votons ni ne nous associons à aucune initiative du Rassemblement national. En juillet dernier, nous avons été élus dans le cadre du front républicain. Nous restons fidèles à notre ligne de conduite. », avait déclaré le groupe PS.
Abrogation : innover pour contrer la majorité
Après avoir fait barrage une fois de plus, certains élus du NFP ont l’air d’avoir retenu la leçon. D’ailleurs, Aymeric Caron avait déjà pris la parole dans le Huffpost, jurant qu’on ne l’y prendrait plus. Car si l’alliance de gauche a laissé des circonscriptions au parti présidentiel pour éviter la victoire du RN… Les choses n’ont pas tourné comme prévu. Même si le NFP est arrivé en tête le 7 juillet, Emmanuel Macron n’a jamais voulu nommer Lucie Castets à Matignon. Dans ce contexte, le projet d’abrogation de la réforme des retraites semblait bien compromis.
Pire, le président a jeté son dévolu sur Michel Barnier. Un haut fonctionnaire issu des Républicains. Un parti qui n’a recueilli que 7 % des sièges à l’Assemblée nationale l’été dernier. De plus, le nouveau Premier ministre travaille sous la surveillance de Marine Le Pen. Qui a plusieurs fois prétendu lui imposer des lignes. De son côté, la gauche a bien des raisons de revoir ses principes pour voter l’abrogation. Si les limites de l’arc républicain deviennent floues, l’aversion des Français pour la réforme des retraites est très claire.
Peut-on vraiment dire que le compte est bon ?
En admettant que LFI (71 voix) vote avec le RN… Cela ne représente que 196 députés ! Il y a très peu de chances que les socialistes (66 élus) en fassent autant. Reste à savoir si le groupe LIOT (23 députés) fera de même. En effet, ce groupe a déjà déposé une proposition de loi pour abroger la réforme des retraites par le passé. La Gauche démocrate / PCF (17 députés) pourrait aussi voter l’abrogation. Puisque d’après Libération, chez les communistes, l’idée fait son chemin.
« Si on veut la revitalisation du Parlement, il faut qu’on obtienne des victoires. », a confié un député PCF dans les colonnes du journal.
Même incertitude pour le groupe « écologiste et social » qui regroupe 38 députés. Pour cette manœuvre, le NFP aurait bien besoin d’être au complet. Et pour cause :
- En additionnant la Gauche Démocrate, LIOT, LFI, avec le groupe Écologiste et social… On obtient 149 élus. En votant (tous) avec les 125 parlementaires, ils ne réuniraient « que » 274 voix. Contre les 289 requises pour adopter l’abrogation.
- Si le NFP était resté uni, comme au lendemain des élections (182 députés) et avait massivement opté pour le vote en faveur de l’abrogation, il aurait pu, avec le RN, compter sur 307 voix… Une majorité suffisante pour adopter le texte.
Les limites
Dans ce contexte, les socialistes auront un rôle décisif. Mais les élus sans étiquettes aussi. Car si une quinzaine d’entre eux acceptaient de voter le texte du RN, la majorité absolue serait dépassée. Sauf que, l’exécutif a déjà prouvé, par le passé, que le forcing était toujours possible. La preuve ? Les nombreux 49-3 qui ont fait grincer des dents au palais Bourbon ces dernières années. Si vous êtes favorable (ou pas) au vote de ce texte, rien ne vous empêche d’en discuter avec l’élu qui représente votre circonscription dans l’hémicycle. Pour l’identifier et le contacter, rendez-vous sur le service dédié de l’Assemblée nationale. Il vous suffira d’indiquer votre commune dans le moteur de recherche pour accéder à la fiche de votre député.
Il y a aussi un autre problème de taille : la nature du texte déposé par le RN pour l’abrogation de la réforme des retraites. En effet, sur la toile, certains juristes pointent déjà une proposition irrecevable. Sans même parler du fond, mais uniquement de la forme. Si cela se confirme, Yaël Braun-Pivert (Assemblée nationale), Gérard Larcher (Sénat) ou le gouvernement pourraient tuer le projet dans l’œuf. Ce qui est parfaitement prévu par l’article 41 de la Constitution. On parle alors d’irrecevabilité législative. Si les faiblesses juridiques du texte sont avérées, deux questions se posent :
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- S’agit-il d’un coup délibéré du RN pour mieux dénoncer « la mauvaise volonté » de la gauche ?
- Ou est-ce le signe que les le groupe mené par Marine Le Pen (elle-même avocate) aurait de vraies lacunes en la matière ?
Affaire à suivre…