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Jeudi dernier, Libération a publié une longue enquête sur un produit très courant dans l’industrie : l’hexane. Attention ! Il ne s’agit pas d’un ingrédient à proprement parler. Mais plutôt d’une substance utilisée pour produire certains aliments. Comme les huiles végétales, les farines, le beurre de cacao ou encore les aliments à base de soja.
Pour les industriels, l’hexane a plus d’un avantage. Incolore, recyclable et abordable, cet hydrocarbure intervient également pour fabriquer du lait infantile, des aliments à base de céréales et de la margarine. Ainsi que des arômes et colorants alimentaires. Cela dit, on ne retrouve cette substance que de façon minime dans les produits finis. D’ailleurs, la réglementation européenne limite sa présence à 1 mg par kilo de nourriture. Cela dit, des chercheurs redoutent tout de même des impacts sur la santé humaine…
L’hexane : un produit très courant
À l’université d’Avignon, le professeur Farid Chemat avait déjà commencé à travailler sur ce composé chimique. Alors qu’il a perdu la vie, c’est Christian Cravotto, l’un de ces anciens doctorants, qui a pris la parole dans les colonnes de Libération.
« Je ne suis pas un lanceur d’alerte mais un chercheur. C’est un problème un peu caché. Le premier à s’en être aperçu, celui qui avait compris avant tout le monde, c’est Farid Chemat. », prévient le chimiste originaire de Turin.
Au départ, ses recherches ne portaient pas réellement sur l’hexane. Il cherchait à remplacer ce solvant par une alternative végétale. Mais de manière fortuite, ses travaux ont mis en évidence les dangers de ce dérivé du pétrole. Néanmoins, cette substance inquiète déjà de nombreux organismes. Depuis 2009, l’UE classe ce produit comme un auxiliaire technologique. Cela dit, la contamination existe bel et bien d’après l’ANSES.
« [son] utilisation peut avoir pour résultat la présence non intentionnelle, mais techniquement inévitable, de résidus de cette substance ou de ses dérivés dans le produit fini. », note l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Reste à savoir comment les minuscules quantités d’hexane qui arrivent dans nos assiettes présentent des risques. Dès 2022, Christian Cravotto a publié un papier dans la revue Foods. Il révèle qu’on connaît déjà les effets neurotoxiques de cette substance. Par le passé, on a même prouvé qu’elle pouvait entraîner des paralysies temporaires chez les humains.
« [Ce solvant] a été identifié comme cause de maladies professionnelles chez des ouvriers en France en 1973. »
D’ailleurs, l’INRS prête des propriétés inquiétantes à l’hexane.
« Attention inflammable, mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires, risque présumé d’effets graves pour les organes à la suite d’expositions répétées ou d’une exposition prolongée. », prévient la fiche d’information sur le site de l’Institut, qui comporte de nombreux avertissements.
Quid des risques pour les consommateurs ?
La dangerosité de l’hexane ne fait donc aucun doute.
« Ça fait au moins quarante ans qu’on sait qu’il peut causer de graves dommages au système nerveux. », explique Christian Cravotto.
Dans l’industrie, les travailleurs doivent donc s’équiper pour parer cette menace. Ils le manipulent dans des espaces ventilés, en portant des combinaisons protectrices. Seulement, comme il sert à transformer certains ingrédients, il pose aussi des questions pour ceux qui mangent ces denrées alimentaires. Sur ce point, le chimiste turinois estime qu’il faut conduire des études supplémentaires.
« Il semble plus que nécessaire d’évaluer clairement les risques associés à cette exposition cachée. »
En ce moment même, les instances de l’UE se penchent sur le sujet. Notamment l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
« Une réévaluation de la sécurité de l’hexane est nécessaire. », a déclaré un porte-parole de l’agence le mois dernier.
En effet, les précédentes recherches sur l’hexane n’ont pas examiné la même substance que dans l’industrie. En effet, ce solvant existe en plusieurs variantes, d’après le pétrole dont il provient. On manque donc de données précises sur ce liquide, sous sa forme « commerciale ».
« Cette absence d’informations ne permet pas une évaluation complète du risque posé par l’exposition à l’hexane. »
On trouve bien des travaux sur le sujet, datés de 1996. Mais selon l’EFSA, ces conclusions semblent maintenant insuffisantes.
« L’étude de quatre-vingt-dix jours sur les rats est insuffisante pour une évaluation de sécurité concluante. »
Résultat ? Il se peut que les seuils en vigueur soient trop élevés. En particulier pour les plus jeunes. Sauf que de nos jours, les chercheurs ignorent encore ce qu’on risque vraiment en ingérant des traces d’hydrocarbure.
« Concernant la voie d’exposition orale, des études chez les animaux indiquent des effets neurotoxiques – bien que souvent à des doses élevées ; il n’existe pas d’études humaines appropriées avec cette voie d’exposition. »
Interrogé par Libération, un autre expert confirme :
« Le débat n’est pas encore tranché : un produit neurotoxique par inhalation peut l’être aussi quand on le mange, mais pas forcément. »
Des voix défendent encore l’hexane
Du côté des industriels, on rechigne à laisser tomber la fameuse substance. Nathalie Lecocq, qui dirige la Fediol, évoque ainsi les « avantages incontestables » de l’hexane. Rappelons que la Fediol est le porte-voix de l’industrie européenne des huiles et des farines.
« [Il] dissout, extrait ou dilue d’autres substances sans les modifier chimiquement et sans se modifier lui-même. S’il y a des résidus, ils sont dans le strict respect du cadre fixé par la Commission européenne. », a déclaré la directrice générale de la Fediol.
Cela dit, elle reconnaît l’utilité de nouvelles études sur l’hexane.
« La conclusion, ça reste qu’il faut réévaluer. D’après le rapport de l’Efsa, l’exposition réelle à l’hexane est potentiellement plus basse que dans les calculs des experts, glisse la porte-parole. S’il y avait un vrai signal de sécurité, l’Efsa adopterait un autre ton. »
Quelles conséquences sur l’industrie ?
La commission européenne entend bien laisser l’Efsa poursuivre son enquête. Ce qui à terme, pourrait forcer les industriels à chercher des alternatives à l’hexane. Mais pour l’heure, il faudrait déjà qu’ils utilisent la substance dans sa version la plus pure. Comme le fait déjà le secteur pharmaceutique.
« Il est moins cher pour un industriel de prendre un hexane moins pur que pur (…) et en plus, ça passait sous les radars en raison du flou de la réglementation. », explique un toxicologue de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Comment éviter l’hexane au quotidien ?
Pour cuisiner, les consommateurs peuvent déjà prendre des précautions. Notamment en se tournant vers des huiles bio ou pressées à froid.
« Mais sans abandonner les huiles traditionnelles car il y a toujours un revers à la médaille et un bénéfice nutritionnel à manger de tout… Enfin, compte tenu des effets neurotoxiques de l’hexane, je conseillerais tout de même à une femme enceinte de prendre plutôt de l’huile d’olive. », note l’expert de l’INRAE.
Espérons que les autorités ne tarderont pas à faire évoluer les normes.
« Il faut plutôt se réjouir. (…) Les techniques de détection des résidus s’améliorent, les normes se durcissent, l’Europe nous protège mieux qu’avant. »